
SPOTLIGHT #8 : L’exécution des clauses compromissoires en droit anglais : enseignements clés de l’affaire UniCredit Bank GmbH c. RusChemAlliance
Chez Lead up, nous nous engageons à fournir à nos clients les solutions les plus innovantes en matière de résolution des conflits, adaptées à leurs contextes sectoriels spécifiques. Pour ce faire, nous devons rester à l’affût des développements récents dans les secteurs de nos clients et analyser ces évolutions en fonction de leurs besoins. Chaque mois, dans le « Lead up Spotlight », nous partageons avec vous – nos collègues, clients et partenaires potentiels – notre analyse sur un développement récent relatif à la résolution des conflits dans un secteur qui nous tient à cœur ainsi qu’à nos clients.
Ce mois-ci, le Lead up Spotlight se penche sur une décision récente de la Cour suprême du Royaume-Uni dans l’affaire UniCredit Bank GmbH c. RusChemAlliance LLC ([2024] UKSC 30), qui confirme la délivrance d’injunctions anti-suit dans le cadre d’un arbitrage international ayant pour siège Paris.
Contexte du litige
Ce litige fait suite aux sanctions de l’UE contre la Russie, qui ont affecté deux contrats de construction entre RusChem (société russe) et deux entreprises allemandes. Ces contrats, d’un montant de plus de 2 milliards d’euros en paiements anticipés, étaient garantis par des obligations à première demande émises par UniCredit.
Lorsque les entreprises allemandes n’ont pas pu exécuter leurs obligations en raison des sanctions, RusChem a tenté de résilier les contrats et de récupérer les paiements anticipés. Les entreprises allemandes et UniCredit ont refusé, invoquant les sanctions comme motif de non-remboursement. RusChem a alors engagé une procédure judiciaire en Russie pour récupérer les fonds.
UniCredit s’y est opposée, arguant que les parties avaient convenu de résoudre tout litige par arbitrage à Paris, conformément aux clauses compromissoires des contrats. Face au refus des juridictions russes de suspendre la procédure, UniCredit a sollicité une injunction anti-suit auprès des juridictions anglaises pour empêcher RusChem de poursuivre l’action en Russie.
La loi applicable à la clause compromissoire : confirmation des principes de l’arrêt Enka
RusChem soutenait que le droit français, en tant que droit du siège de l’arbitrage, devait régir la clause compromissoire. UniCredit, en revanche, affirmait que le droit anglais, choisi par les parties pour régir le contrat, devait également s’appliquer à la clause d’arbitrage.
La Cour suprême du Royaume-Uni, appliquant les principes de l’arrêt Enka Insaat Ve Sanayi AS c. Chubb ([2020] UKSC 38), a jugé que le droit anglais régissait la clause compromissoire, en l’absence d’intention claire des parties d’appliquer un autre droit.
Portée de la décision
La Cour suprême a donc confirmé l’injunction anti-suit, estimant que les juridictions anglaises avaient compétence pour faire respecter la clause compromissoire, même si le siège de l’arbitrage est situé à l’étranger (en l’occurrence, Paris). Cette décision souligne que les juridictions anglaises peuvent intervenir pour protéger les accords d’arbitrage régis par le droit anglais, indépendamment du siège de l’arbitrage.
Un point clé de la décision est la clarification selon laquelle le choix d’un siège étranger n’exclut pas automatiquement la compétence des juridictions anglaises. La Cour a précisé que le siège de l’arbitrage ne limite pas la capacité des juridictions anglaises à accorder des mesures provisoires, telles que les injunctions anti-suit, notamment lorsque aucune procédure arbitrale n’a encore été engagée.
Référence au rapport de la Law Commission
La décision fait également référence au rapport récent de la Law Commission sur la Arbitration Act 1996, qui propose une modification visant à préciser que la loi applicable à la clause compromissoire devrait être celle du siège. Toutefois, dans cette affaire, la Cour suprême a souligné que les parties avaient explicitement choisi le droit anglais pour régir le contrat, et donc la clause d’arbitrage. Cela montre que l’intention claire des parties peut prévaloir sur la règle générale proposée par la Law Commission.
Implications pour l’arbitrage international
Ce jugement a des implications majeures pour l’arbitrage international, en particulier pour les parties qui choisissent le droit anglais pour régir leurs contrats. Il confirme que, même lorsque le siège de l’arbitrage est situé dans une juridiction étrangère, les juridictions anglaises peuvent jouer un rôle clé dans l’exécution des clauses compromissoires. La décision renforce la position du Royaume-Uni comme juridiction de référence pour la résolution des litiges commerciaux transfrontaliers.